Meïssa Waly Dione

image descriptif
profile
Ecoles au Sénégal
29 June 2021
Meïssa Waly Dione Mané, premier roi du Sine: Sur les traces de l’éléphant de Mbissel


Meissa Waly Dione Mané, premier roi du Sine, a marqué l’histoire de cette vaste contrée peuplée en majorité de Sérères.  Ce mandingue venu du Gaabou était un homme de sagesse, mythique et mystique. Plusieurs siècles après sa disparition, le souverain est chanté, adulé et adoré à Mbissel et dans tout le Sine dont il est le fondateur du royaume.

 

La vie se conjugue avec Meissa Waly Mané à Mbissel. Dans cette contrée du Sine, située entre Fadial et Sambadia, le souverain est plus qu’un roi. Il est même devenu le totem du village. Songénie-protecteur. Un mausolée est construit à son honneur non loin des habitations. À l’intérieur, des baobabs géants longent la clôture. Avec cet hivernage pluvieux dans le Sine, les hautes herbes ont recouvert certains coins de l’espace sacré bien protégé et impénétrable par tout étranger sans l’autorisation du gardien du temple. Cependant, la partie où est construit le mausolée royal est bien nettoyée et recouverte de coquillages par François Sène. Le conservateur nous a accueillis, cet après-midi du samedi 22 août 2020, d’abord dans sa maison. Tous les jours, il reçoit des visiteurs qui viennent découvrir ce site historique pour s’y recueillir ou prier. Vêtu d’un pantalon bleu assorti d’un t-shirt, il nous mène vers le mausolée du premier souverain du Sine. Il ouvre la porte et souhaite la bienvenue à ses invités. Toutefois, avant de démarrer la discussion, François Sène « entre en contact » avec le maître des lieux Meissa Waly Mané.

 

Les deux mains sur le mausolée, il parle au roi comme s’il s’adressait à un vivant. Après ces incantations pour avoir l’autorisation du souverain, la discussion avec les invités du jour peut commencer. François Sène retrace l’histoire de Meissa Waly Mané, le souverain mandingue venu du Gaabou (Guinée-Bissau). Dans ce grand empire, dit-il, Meissa Waly Mané était en conflit avec un des rois. Ce dernier, pour connaître les secrets de la puissance de son protagoniste, avait arrangé son mariage avec une de ses sœurs. C’est grâce à cette femme, raconte François Sène, que le secret de Meissa Waly Mané a été percé. Il ne pouvait plus rester sur la terre de ses aïeuls au risque d’être tué. Ainsi, raconte toujours le conservateur du mausolée, Meissa Waly Mané, accompagné de quelques gens de sa cour, a quitté le Gaabou pour trouver refuge ailleurs. Le futur souverain du Sine ne suivait que son ombre qui devait le guider dans un lieu où il pouvait encore régner.

 

C’est à Sangomar, narre M. Sène, que Mansa Waly s’est d’abord arrêté. Ensuite, il a continué jusqu’à Djifer puis Faboura. De Faboura, il entendait,chaque matin, le chant des coqs et les coups de pilon des femmes qui retentissaient depuis Mbissel. De ce fait, il se rend compte qu’il n’est pasencore arrivé à sa destination finale. En continuant le périple, il est arrivé à Mbissel.

 




Marche vers le trône

 

Dans ce village historique, Meissa Waly Mané a été accueilli à bras ouverts par les populations. D’après l’historien, Mamadou Faye, «Mansa Waly est restéun bon moment à Mbissel sans être roi ». Selon le récit du chercheur sur l’histoire des Sérères, tout a commencé quand sa sagesse lui a permis de régler un vieux conflit d’héritage datant de plusieurs années. À son avis, ce problème opposait deux personnes qui se disputaient la propriété d’un troupeau de vaches. Pour trancher très vite cette affaire que le Lamane de Fadial, Diamé Ngom, n’a pu juger, explique lepatriarche, Ndoupe Ngom, actuel Djaraf du Sine, Meissa Waly Mané a cherché une petite pirogue et a caché à l’intérieur un jeune enfant. Ainsi, il a appelé les deux personnes en conflit etleur a expliqué le procédé. Chacun, accompagné de son épouse, devait porter cette lourde pirogue et marcher sur une très longue distance pour prouver qu’il est le propriétaire et l’autre devait partir récupérer le même fardeau et le ramener à la place publique du village.

 

Le premier couple, raconte toujours le vieux Ngom, a pris la pirogue. Après quelques kilomètres de marche, la femme dit à son mari : «pourquoi se fatiguer tout en sachant que les vaches ne t’appartiennent pas ? ». Celui-ci de répondre : «Elles ne m’appartiennent pas, je le sais, mais je vais tout faire pour les garder », raconte Djaraf Ndoupe Ngom, par ailleurs descendant du Lamane Diamé Ngom.

 

La deuxième personne accompagnée aussi de son épouse est partie récupérer la petite pirogue hermétiquement fermée pour la ramener à la place publique. Au cours du trajet, sa femme lui dit : «tout le monde sait que les vaches t’appartiennent mais comme il ne veut rien comprendre laisse les avec lui». Toutefois, son mari était déterminé à récupérer ses vaches. L’enfant caché à l’intérieur de la pirogue écoutait silencieusement les différentes conversations. À la place publique où tout le monde attendait patiemment le verdict qui sera donné. Meissa Waly Mané a ouvert la petite barque. Un enfant est sorti à la surprise générale. Ainsi, l’enfant a raconté ce qu’il a entendu. Quand ce dernier a fini de faire son compte-rendu, Meissa Waly Mané a tranché. Il a remis les bêtes à celui qui a ramené la pirogue, raconte Ndoupe Ngom.

 

D’après Mamadou Faye, c’est à partir de ce jour que tous les Lamanes Sérères ont signé un pacte avec Meissa Waly Mané. Pour eux, ce dernier, grâce à sa sagesse, devait assister à tout ce qu’ils organisent. «kuxew na faat ta maadine »(qu’il assiste à tout ce qui se fait) », avaient-ils demandé, rapporte le chercheur Mamadou Faye. C’est à partir de cette date, dit-il, qu’est né «maad » qui, étymologiquement, signifie « assister » ou « roi » dans la croyance populaire. Au début, informe le responsable des langues nationales à l’Inspection d’académie de Fatick, Meissa Waly Mané était comme un conseiller technique pour les Lamanesmais jouait aussi un rôle d’arbitre. Il necessait de les surprendre.

 

Finalement, ils ont décidé de faire de lui le roi du Sine en lui disant ceci: «I NdoxNang Lang Ke Fo Fofi Lé » (nous te confions les terres et les eaux). Le Djaraf du Sine, Ndoupe Ngom, soutient aussi cette version du chercheur. Ilajoute que Meissa Waly Mané a, à son tour, décidé d’honorer le grand sage des Lamanes, Diamé Ngom Fadial en le désignant comme Grand Djaraf. C’est à partir de ce pacte qu’est né la royauté sérère et le grand royaume du Sine. Dans la royauté du Sine, le grand Diaraf était une sorte d’adjoint, le président de l‘Assemblée nationale si l’on se réfère à la nomenclature actuelle. Depuis cette date, tout roi du Sine est intronisé par le grand Djaraf.

 

Par ailleurs, une autre version donnée par les habitants de Mbissel, notamment par le chef du village et le conservateur du mausolée, indique que Mansa Waly Mané, venant du Gaabou, a trouvé à Mbissel une reine du nom de Siga Badial. C’est cette femme qui avait des pouvoirs mystiques qui avaient vu en lui le futur souverain du Sine. Meissa Waly Mané, disent-ils, a réussi à juger un très vieux conflit qui opposait deux habitants de Mbissel.

 



 

Une longévité légendaire

 

Roi du Sine, Mansa Waly Mané a fait le tour de certains villages qui existaient déjà dans le royaume. Il en a aussi créésd’autres, informe le conservateur de son mausolée. Selon lui, tous les villages commençant par «Fa» aux environs de Mbissel ont été fondés par Mansa Waly Mané. Intronisé roi en 1.185, selon beaucoup d’historiens, il a fait 44 ans sur le trône, rappelle François Sène. Le souverain était âgé. Malgré tout, il était toujours là. Sa longévité légendaire étaitl’objet de toutes les attentions. Des gens venaient de tous les coins du Sine pour voir le vieux roi. Chaque fois qu’ils rentraient, les populations leur demandaient «ka Meissa ?» (où est Meissa). La réponse: «Oxa Maga Dione » (il est toujours là-bas, végétant). À force de répéter cette phrase, le souverain qui s’appelaitMansa Waly Mané était appelé, partout dans le Sine, Meissa Waly Dione Mané.«Beaucoup pensent que son nom c’est Dione mais il est Mané et vient du Gaabou. Des familles Dione viennent même en pèlerinage à Mbissel pensant qu’elles sont descendants de Meissa Waly Dione », explique le conservateuret le chef du village de Mbissel, Maliame Sagne. Après plusieurs annéesde règne, Meissa Waly Dione Mané adisparu, selon la version donnée par le conservateur. «Il avait dit qu’il n’allait pas mourir, mais il allait disparaître. Le lieu où vous trouverez mes chaussures c’est là-bas votre lieu de culte. Si vous avez besoin de moi, allez dans ce lieu, priez ce que vous voulez et vous l’aurez», raconte François Sène. C’est sur ce site où est érigé son mémorialque les chaussures de Meissa Waly Dione Mané ont été retrouvées. François Sène ne sait pas si le souverain est sous terre, dans la mer où s’il est dans les airs. Venu du Gaabou, Meissa Waly Dione Mané a disparu avec ses mystères, léguant au peuple du Sine un royaume bien organisé et qui aura tenuplusieurs siècles.

 

 



 Lieu de prières et de sacrifices

 

Le premier roi du Sine, Mansa WalyDione, dispose désormais d’un mausolée à Mbissel. Il est érigé sur le site où le souverain a été aperçu pour la dernière fois. À l’entrée de ce lieu sacré où poussent des baobabs géants, il est écrit : «L’éléphant de Mbissel », en référence au maître des lieux, l’ancien roi du Sine. C’est derrière une barrière métallique que ceux qui viennent pour des prières s’arrêtent pour entrer en contact, spirituellement parlant, avec l’ancien roi. Sept pieds de rônier sont plantés tout autour du mausolée. À l’intérieur, on voit des bouteilles de vin vides, des cornes de bœuf. Pour bénéficier de prières dans ce lieu mystique et mythique, explique François Sène, il faut amener du lait caillé, du vin qui sont utilisés pour les libations. Chaque année, un bœuf noir est sacrifié sur cette place. L’endroit a été rendu plus attractif et plus accueillant. La clôture d’épines a laissé la place à un mur en dur. Les visiteurs trouvent à l’intérieur des bancs en ciment pour s’asseoir. Pour faire toutesces réalisations sur le site, François Sène, conservateur depuis 1982, a bénéficié du soutien du ministère de la Culture. Il a eu aussi l’appui d’autres partenaires comme cet Européen venu pour des prières à Mbissel et qui a vu son vœu se réaliser. C’est grâce à ce dernier que le mur de clôture qui avait cédé a été entièrement refait. Des portes en fer ont été érigées pour éviter que les animaux en divagation entrent dans cet espace sacré. Même les carreaux qui ornent les bancs sont de «l’ami toubab ». «Le site était ceinturéd’épines. À un moment donné, je me suis dit qu’il était temps de moderniser ce lieu sinon les enfants de demainn’allaient rien trouver. Aujourd’hui, quelques réalisations ont été faites mais nous allons continuer la modernisation », dit-il.

 

Concernant le mausolée, le conservateur informe qu’il a été entièrement financé par le chef religieux Cheikh Ndigueul Sène de Ndiambour Sine. D’après lui, ce dignitaire mouride, fils du Sine, est venu jusqu’à ce lieu sacré à Mbissel. «J’ai vu en rêve Meissa Waly Dione Mané qui m’a dit qu’il doit avoir un mausolée. Je suis venu pour que nous puissions voir où est-ce que nous pouvons le construire », avait confié le religieux lors de son passage à Mbissel, révèle François Sène. À son retour àNdiambour Sine, Cheikh Ndigueul Sène a tenu sa promesse. «Il a envoyé des gens qui sont venus s’occuper de la construction. Ce mausolée est son œuvre et nous lui en sommes toujours reconnaissant », dit M. Sène pour magnifier l’œuvre du chef religieux.

 

 




Le gardien du temple de Mbissel

 

Entre François Sène et Meissa Waly Dione Mané, c’est un pacte sacré. Il est conservateur du mausolée depuis 1982, sans interruption. Depuis 38 ans, François Sène, taille élancée, cheveux poivre et sel est « l’intermédiaire »entre les populations et Meissa Waly Dione Mané. Pourtant, l’enfant de Mbissel n’a jamais pensé, dans sa vie,qu’il allait finir conservateur du mausolée du premier roi du Sine. Il travaillait au service de l’état-civil de l’hôpital Principal de Dakar. « Je faisais partie de l’équipe qui a ouvert le service de l’état-civil de l’hôpital Principal de Dakar », explique M. Sène. Cependant, un jour, l’agent est subitement tombé malade. Une maladie presque incurable. Il est allé partout pour se faire soigner. En vain. La maladie a persisté. La nuit, il voyait des esprits qui lui recommandaient de rentrer à Mbissel. Nous sommes en 1982. Fatigués par cet appel incessant des esprits, il a fini par rentrer la même année. Le jeune François venait juste d’avoir sa fille aînée. Il est revenu dans son village natal avec toute sa petite famille répondre à l’appel de Meissa Waly Dione Mané. «Quand je suis revenu et que j’ai expliqué le problème à mon père, il m’a dit qu’effectivement, le totem du village avait besoin de moi. Mon père qui était d’un âge avancé m’a dit que c’était mon tour de venir garder le temple», raconte le sexagénaire.

 

Accompagné de son papa, il a fait un tour au bois sacré où rode l’esprit de Meissa Waly Dione Mané pour faire les sacrifices demandés. Très vite, le revenant recouvrit la santé. Depuis lors, il a signé un pacte avec cet espace sacré dont il est le conservateur. «Je ne suis pas devenu conservateur de ce lieu du jour au lendemain. Quand je suis revenu, j’étais loin de la retraite. Je venais d’avoir une fille aînée qui est aujourd’hui une mère de famille. Je ne regrette pas ce retour. Je ne me plainspas. J’ai construit ma maison, j’ai des biens donc Dieu merci », dit-il avec fierté. Aujourd’hui, François Sène est au service de sa communauté. Il est à la fois conservateur et guérisseur. Beaucoup de malades font recours aux services du patriarche. «Quand tu tombes malades et que tu viens à Mbissel, tu peux être guéri. Nous soignons ici beaucoup de malades avec l’aide de l’esprit de Meissa Waly», assure-t-il.

 

François Sène s’occupe régulièrement de l’entretien des lieux et est le maître des libations. «Ce mausolée est notre trésor. Nous ne laisserons pas un pan de notre histoire s’écrouler », renchérit-il. Entre lui et cet espace sacré, c’est un pacte de non-agression.









SOURCE 

LE SOLEIL